Mesurer régulièrement sa glycémie (taux de sucre dans le sang) permet de surveiller son diabète. Cette automesure nécessite une goutte de sang obtenue en se piquant le bout du doigt au moyen d’une petite aiguille, dite lancette. C’est contraignant. Les diabétiques aimeraient se passer de ce geste parfois douloureux et on comprend que les publicités vantant des produits qui prétendent mesurer la glycémie de façon « non invasive », c’est-à-dire sans piqûre ou sans traverser la peau, ont toutes les chances de retenir leur attention. Hélas, il faut savoir qu’il n’existe à ce jour aucun dispositif de suivi de la glycémie par simple contact de la peau dont la fiabilité et la sécurité ont été suffisamment démontrées. Même ceux dont les publicités affirment s’appuyer sur des « avancées technologiques » pour des dispositifs sous forme de montres connectées, de bagues ou de moniteurs de glycémie (appareils à placer sur le doigt). Aucun appareil de ce type n’a été homologué par les autorités sanitaires ni validé par la communauté scientifique.
Dès février 2024, aux Etats-Unis, la Food and Drug Administration (FDA) avait mis en garde les consommateurs contre l’utilisation de ces montres ou bagues pour mesurer la glycémie, rappelant qu’elle n’avait autorisé aucun dispositif de ce type dans cette indication. En France, le 5 mars 2025, la Fédération française des diabétiques (FFD) a dénoncé l’existence d’un post Facebook sponsorisé faisant la promotion d’un appareil de mesure de la glycémie présenté comme « non invasif' », utilisant frauduleusement son logo, ainsi que ceux de l’Inserm et de L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Précisons que ces appareils ne peuvent pas donner de valeurs de glycémie fiables et sont susceptibles de mettre en danger la santé des personnes diabétiques. L’ANSM et la direction de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) rappellent que « les seuls appareils permettant le contrôle de la glycémie de façon fiable et efficace fonctionnent soit par le prélèvement d’une goutte de sang qui est analysée par un lecteur de glycémie, soit grâce à un capteur constitué d’un filament souple introduit sous la peau du patient ».
A ce jour, ces montres, bracelets ou bagues ne sont pas encore suffisamment au point pour un usage médical. Le slogan publicitaire « un docteur attaché à votre poignet » est mensonger. Mensonger, car la fiabilité médicale de la mesure est insuffisante et que le rôle du médecin n’est pas de mesurer, mais d’interpréter les résultats de mesure et de choisir les traitements. En conséquence, il ne faut pas acheter ces appareils disponibles sur de grandes plateformes de vente en ligne (comme Amazon), pour des prix allant de quelques euros à plusieurs centaines d’euros.
De nombreuses personnes utilisent des technologies portables de santé mobile, montres ou bracelets (wearables) qui se qualifient de produits de « bien-être » (wellness). Pour échapper aux exigences de la réglementation médicale, cette catégorie « wellness » renonce aux fonctions de diagnostic et déclare qu’elle ne fait que du « pré-diagnostic ». Ceci est indiqué aux consommateurs sur les notices d’utilisation par des avertissements comme cet exemple : « cette application ne convertit pas votre iPhone ou Apple Watch en un appareil médical et n’est pas destinée à être utilisé dans le diagnostic, la surveillance, la prévention ou le traitement d’une maladie ». Dans leur mode d’emploi ces capteurs parlent de « pré-diagnostic », un terme médicalement peu clair.
Mais les utilisateurs lisent-ils, comprennent-ils et respectent-ils de tels avertissements ? Et qui serait responsable si les patients (voir certains médecins) utilisaient ces applications « wellness » à des fins de diagnostic ? Un article de la revue nord-américaine JAMA répond à ce questionnement. Nous le résumons et le commentons ici.
Parmi les applications permettant des « pré-diagnostics », on peut donner les exemples de logiciels pour smartphone qui suivent les habitudes de toux des utilisateurs (pour en analyser la fréquence et l’intensité), les applications qui suivent les mouvements et la fréquence cardiaque afin de détecter les activités ressemblant à des crises et alerter les contacts d’urgences ; ou d’autres qui utilisent la respiration pour mesurer et suivre le métabolisme du corps. Ces dispositifs peuvent être utilisés comme une première étape pour l’évaluation de la santé et s’appuyer sur elles pour identifier une maladie ou un état. Les utilisateurs peuvent communiquer leurs données à un médecin pour les intégrer dans une évaluation ou l’adaptation d’un traitement. Enfin, à mesure que ces produits se multiplieront et gagneront en fiabilité, les médecins pourraient même en recommander certaines.
Qui est responsable si un produit ne parvient pas à détecter une crise ?
Ces produits se situent dans une zone juridique grise. Qui serait tenu pour responsable si un produit ne parvenait pas à détecter une crise ? Qui serait responsable si un patient (ou un médecin) utilise un produit pour détecter des crises d’asthme alors qu’il ne le fait pas ? Vers qui se retourner si un appareil déclenche des alertes inappropriées conduisant à une conduite de santé non appropriée (comme des recours trop fréquents, stressants et coûteux à des services d’urgences, voir à la mise en route de traitements inutiles) ? En l’état actuel de la réglementation, la responsabilité liée à l’utilisation de ces produits est incertaine, surtout lorsque les dispositifs n’ont pas été certifiés par les autorités de santé (telle la FDA aux Etats-Unis).
Des litiges en perspective ?
Les personnes s’estimant lésées par ces produits peuvent être tentées de poursuivre les fabricants ou d’évoquer des fautes médicales professionnelles dans l’espoir d’obtenir des dommages-intérêts. A ce jour, ces questions n’ont pas encore fait l’objet de litiges, mais les réclamations sont susceptibles de survenir à mesure que l’usage de ces technologies se banalise. Par exemple, le cas pourrait être sensible pour un appareil surveillant la saturation en oxygène du sang et le pouls des nourrissons.
Un fabricant peut être tenu responsable des blessures causées par des produits défectueux par en raison de défauts de fabrication ou de conception (un fabricant est responsable si le produit a causé le préjudice pendant une utilisation prévue, celle à laquelle le produit est habituellement destiné ou celle à laquelle le producteur sait qu’il sera utilisé). Si la fiabilité de la réponse de l’appareil dépend des conditions d’utilisation (et c’est souvent le cas), on note que les avertissements en ce sens ne valent pas ipso facto de clause de non-responsabilité pour le fabricant.
Les médecins pourraient rencontrer des questions de responsabilité non résolues lorsqu’un patient leur apporte des informations à partir d’un produit dit de « pré-diagnostic », en particulier lorsque l’appareil ou l’application utilise l’intelligence artificielle ou une autre technologie opaque. Il sera difficile pour les médecins d’interpréter la signification d’un signal de toux particulier, de données biologiques ou d’un mouvement capté (semblable à une crise) enregistré par un produit de pré-diagnostic sans connaitre sur les méthodes et la fiabilité dont le produit recueille des données ou transforme ces données en informations.
En cas de données non fiables, utilisateurs, fabricants et médecins pourraient se défausser l’un sur l’autre
En cas de litige, des préoccupations sur la qualité des données seront soulevées par les fabricants et les médecins pourraient se reporter sur le rôle de l’utilisateur dans la génération de données. Par exemple, une application d’analyse de la toux demande aux utilisateurs d’initier une session, puis de collecter des données en milieu ambiant chaque fois que l’application est déclenchée, ce qui peut se produire dans des environnements inadaptés à une collecte de données fiables. Les fabricants pourront faire valoir que l’utilisateur était en faute parce qu’il a collecté des données de façon incorrecte. Lorsque les médecins sont impliqués dans l’interprétation des informations, les fabricants pourront prétendre que c’est le médecin qui a fait une erreur. Le médecin, quant à lui, pourra faire valoir que le produit de prédiagnostic n’était pas suffisamment fiable. Ces points de vue différents créent un flou de responsabilité dont le demandeur peut sortir sans indemnisation.
Dans l’attente d’une évolution de la réglementation, restez attentifs aux conseils d’automesure.com
Conscients de ces difficultés, les législateurs seront amenés à faire évoluer la réglementation. Dans l’attente, patients, professionnels de santé doivent être très attentifs aux validations scientifiques des appareils et leurs applications ainsi qu’au respect des conditions de bon usage. Ce que les analyses du site automesure.com rappellent toujours !