Traceurs d’activités connectés associés à des récompenses financières : ils ne sont pas une panacée pour améliorer la santé des salariés

Les podomètres connectés à des smartphones, encore appelés « traceurs d’activité », connaissent un succès commercial notable. On estime par exemple que 10% des sujets nord américains adultes possèdent de tels dispositifs. Leur fiabilité pour compter le nombre de pas reste relativement incertaine : Si certaines études relèvent « des erreurs inacceptables par rapport au podomètre de référence » ou estiment que « leur marge d’erreur peut s’élever jusqu’à 25% par rapport à un actimètre professionnel de référence », d’autres jugent que ces dispositifs grand publics ont une « bonne validité pour le nombre de pas en pratique courante » (1, 2 , 3, 4).

Succès commercial n’est pas synonyme d’intérêt démontré pour une meilleure hygiène de vie 
Mais quoiqu’en disent les publicités, leur succès commercial n’est pas synonyme d’intérêt démontré pour une meilleure hygiène de vie des patients. Les firmes commercialisant ces traceurs allèguent que les acheteurs sont des individus plus actifs. Ils n’ont pas tord, mais dans cette présentation il existe un biais vis-à-vis de l’acte d’achat et la motivation. Leur affirmation résonne comme une lapalissade et revient à reconnaitre que les acheteurs de vélo font plus de cyclisme que la population générale… Ceci remarqué, il existe effectivement des études scientifiques ayant montré que l’utilisation d’un podomètre peut inciter – dans un cadre éducatif qui ne se résume pas uniquement au port du dispositif – à augmenter l’activité physique modérée et régulière des personnes (5). Mais l’impact de telles interventions médicales reste mal connu et les quelques évaluations publiées portent sur des effectifs réduits et des temps d’observation très courts. Parmi elles, citons un travail ciblé chez des 50 sujets BPCO à qui le port d’un podomètre (non connecté) a été proposé pendant trois mois lors de trois consultations successives. Il montre une augmentation significative, quoique modeste, du nombre de pas par jour par rapport au groupe de contrôle (49 patients sans podomètre avec le même nombre de consultation) (6). 

Marcher pour gagner 

Nous en étions là de nos connaissances jusqu’à ce que l’école médicale de Singapour propose à des salariés de porter à leur ceinture un traceur connecté (Fitbit Zip Activity® tracker) dans le cadre d’un programme d’évaluation de l’impact de ces dispositifs sur l’activité physique modérée (7). Ce travail porte sur un effectif consistant de personnes (800 salariés âgés en moyenne de 35 ans), randomisées en quatre groupes et suivies sur une durée de 6 et 12 mois.

Un premier groupe de salariés était constitué de porteurs du traceur d’activité à qui 12 euros par semaines étaient donnés ; deux autres groupes se sont vu proposer de marcher afin de déclencher des aides financières (45 à 90 euros par semaines pour 50 000 à 70 000 pas hebdomadaires) allouées suivant deux modalités, soit pour des associations caritatives soit pour elles mêmes ; le dernier groupe (remise d’une documentation sur les bienfaits de l’activité physique, rémunération de 12 euros par semaine sans traceur d’activité) constituait le groupe contrôle.

L’objectif primaire de l’étude était le devenir de l’activité physique à six mois (évaluée au moyen d’un accéléromètre professionnel, l’ActiGraph®). Les objectifs secondaires consistaient à étudier le devenir des personnes à 6 et 12 mois et notamment l’influence de l’activité physique sur des paramètres de santé tels le poids, la pression artérielle, la mesure de la qualité de vie et la consommation maximale d’oxygène (VO2 max). 

Aucun impact visible sur le poids, la pression artérielle, la qualité de vie ou la V02 max 

Au terme de six mois de suivi, les personnes appartenant au groupe bénéficiant d’une récompense financière avaient marché effectivement un peu plus que les autres. En moyenne ils avaient marché de 7 336 pas de plus par semaine (soit entre 5 à 7 km) versus le groupe contrôle. Rapporté au temps passé, cela correspondait à une augmentation de 4 mn d’activité physique par jour. Ce modeste accroissement d’activité n’a pas débouché sur une modification significative des paramètres de santé : ni le poids, ni la pression artérielle, ni la V02 max ou le score de qualité de vie n’ont bougé d’un iota. Ce résultat décevant fait dire aux auteurs de l’étude que le prêt d’un traceur d’activité chez des salariés avec incitation financière « ne peut pas être considéré comme une panacée pour la prise en charge ou la prévention des maladies chroniques ». Une conclusion relayée par le British Medical Journal (8).

Un autre enseignement est que si 100% des participants portaient bien le traceur d’activité à leur ceinture au commencement de l’étude, si 80 à 60% des personnes les gardaient jusqu’à 6 mois, il n‘en restait plus que 10% pour le porter régulièrement à 12 mois. Une interprétation possible serait que les personnes connaissant bien leur activité, n’avaient plus besoin d’un retour numérique pour quantifier leur comportement. Cette hypothèse reste à creuser.

Quel retour sur investissement ?

Voilà un résultat qui risque de doucher l’enthousiasme de certains programmes d’assureurs adaptés au comportement des personnes qui commencent apparaitre aux Etats-Unis et dont il en existe maintenant un en France. La hauteur des « récompenses » ne pourrait-il pas grever le retour sur investissement espéré par les assureurs ? Ce travail a le mérite d’apporter des arguments pour contrer la publicité exagérée des fabricants qui rêvent de vendre leur matériel non seulement dans les magasins de sport et d’électronique (ce qui est une bonne puisque ces traceurs incitent à marcher) mais également de les voir pris en charge par des assurances de santé (privées ou publiques) au motif que la sédentarité est un facteur de risque prouvé sur la morbi-mortalité. 

On a déjà entendu en France des personnalités se positionner pour plaider pour une prise en charge par l’assurance maladie de tels dispositifs. A l’aune de cette étude, il parait urgent d’attendre avant de consacrer des budgets publics dans cette voie. Dans les limites de l’étude, on remarquera qu’il s’agissait de personnes salariées probablement en relative bonne santé et motivées pour participer à un tel programme. Les résultats ne sont pas forcement extrapolables à des groupes de patients aux pathologies ciblées. Chez ces derniers la recherche doit continuer et l’équipe d’automesure.com entend bien relever ce défi.


Références

1. Orr et al. Validity of smartphone pedometer applications 
BMC RES NOTES (2015) 8:73
2. Case MA et al. Accuracy of smartphone Applications and Wearable Devices for Tracking Physical Acitivity Data. JAMA 2015; 313(6):10-11
3. Fergusson et al. Validity of consumer-level, acitvity monitors in healthy adults
International J od Behavorial Nutrition and Physical Activity 2015
4. Postel-Vinay N, Chaix B. Mesurer l’activité physique avec des questionnaires et l’actimétrie : usage médical ou grand public ?  Info Respir 115 : 17-19.
5. Bravata D, Smith S, Planger C, et al. Using pedo- meters to increase physical activity and improve health; a systematic review. JAMA 2007; 298(19) : 2296-304. 
6. Mendoza L, Horta P, Espinoza J, Aguilera M, Balmaceda N, Castro A, et al. Pedometers to enhance physical activity in COPD: a randomised controlled trial. Eur Respir J. 2015 Feb;45(2):347–54. 
7. Eric A Finkelstein, Benjamin A Haaland, Marcel Bilger, Aarti Sahasranaman, Robert A Sloan, Ei Ei Khaing Nang, Kelly R Even Effectiveness of activity trackers with and without incentives to increase physical activity (TRIPPA): a randomised controlled trial. Lancet Diabetes  Endocrinol 2016;4: 983–95
8. Wise J BMJ 2016;355:i5392 doi: 10.1136/bmj.i5392 (Published 5 October 2016)

Source : automesure.com® janvier 2017