L’utilisation des tensiomètres connectés vendus au grand public est loin des pratiques médicales recommandées
Les tensiomètres connectés peuvent fournir des données de pression artérielle fiables mais à condition d’être utilisés correctement, c’est-à-dire maniés dans le respect du calendrier de mesure recommandé par les recommandations médicales, (à savoir plusieurs mesures consécutives, faites matin et soir pendant plusieurs jours de suite). Mais dans la vie réelle les acheteurs de tensiomètres connectés respectent-ils les règles médicales de bon usage ?
Une analyse portant sur plus de 20 000 utilisateurs
Pour répondre à cette question, des médecins ont analysé la base de données d’un fabricant de tensiomètres connectés comprenant un très grand nombre de mesures effectuées par plus de 20 000 personnes (Europe et USA) qui avaient utilisé leur tensiomètre pour la première fois de juillet 2019 à mars 2021. Pour cette analyse, ils ont étudié les mesures faites pendant presque un an (précisément entre 311 et 400 jours après leur première automesure). Les chercheurs ont considéré qu’une séquence d’automesure était valide seulement si le tensiomètre avait transmis au moins 12 mesures effectuées en l’espace de trois jours consécutifs (ce qui correspond au minimum de mesures indispensables pour avoir un résultat fiable selon les études scientifiques sur l’automesure de la pression artérielle). Suivant ce critère, combien de personnes ont-elles mesurées leur pression artérielle dans les règles de l’art ?
Au bout d’une année, presque la moitié des utilisateurs ne mesuraient plus leur pression artérielle
Parmi les 22 177 utilisateurs inclus dans l’analyse 46 % (10 308) des possesseurs de tensiomètres ne se servaient plus de leur appareil au bout d’un an. A l’inverse, un peu plus de la moitié (54%, soit 11 869) ont persisté pendant la première année. Parmi les utilisateurs persistants, 44% ont effectué des mesures éparses occasionnelles et seulement un tiers (34%) ont fait des mesures conformes au début du suivi jusqu’à huit mois cumulés, et seuls 13 % sur une durée d’un an ont utiliser leurs appareils avec des séquences valides de 15 mesures réparties sur trois jours. C’est bien peu.
La motivation des acheteurs de tensiomètres connectés reste mal connue
Ces données, dont il n’existe pas d’équivalent dans la littérature, constitue une photographie originale sur les comportements des acheteurs de tensiomètres connectés dans le monde. Elle ouvre une réflexion sur les forces et les limites des mesures de la pression artérielle au moyen d’un tensiomètre connecté. Du côté de ses avantages, la connexion permet d’analyser facilement de très grands nombres de mesures de pression artérielle via la base de données, ce qui pourrait être intéressant du point de vue de la santé publique. Mais en vie réelle cet atout technique est limité par les comportements des utilisateurs qui ne respectent pas le calendrier recommandé.
Cette étude ouvre toute une série de questions qui restent sans réponse faute de disposer d’informations complémentaires (car n’existant pas dans la base de données) : Qui étaient les personnes ayant acheté un tensiomètre connecté mais qui ne s’en servaient pas ou si peu ? Pour quelle raison faisaient-elles cette acquisition ? S’agissait-il de geeks adeptes du « quantified self » mais sans problème de santé ? De personnes qui pensaient être hypertendues et ont abandonné leur suivi car elles ne l’étaient pas ? Ou d’authentiques patients hypertendus traités, mais mauvais observants au regard de l’autosurveillance ? Seules des études complémentaires pourraient apporter des réponses et nous aider à préciser les frontières entre consumérisme médical inutile et santé publique.
Pour tirer de meilleures informations via les tensiomètres connectés, les auteurs suggèrent deux pistes : soit, il faut mieux enseigner aux utilisateurs les règles de bon usage des tensiomètres, soit les médecins/chercheurs doivent apprendre à analyser de façon plus souple des ensembles de données de pression artérielle qui ne répondent pas parfaitement aux protocoles fixés par les recommandations (guidelines). Pour cette dernière approche, il faudra faire l’hypothèse qu’une série de mesures faites « un peu n’importe quand » pourrait tout de même renseigner valablement sur le niveau tensionnel des personnes. Mais à ce jour, on ne sait pas encore faire ce type d’analyse. En pratique, on retiendra qu’il reste aujourd’hui nécessaire de demander aux patients de respecter le calendrier définis par les guidelines pour prendre des décisions médicales.